Petite expérience non-photographique
Et pourtant, j'aimerais bien parfois avoir un appareil photo serti
autour du crane, enfin, j'me comprends : une courroie maintiendrait
l'appareil à mon crâne, l'appareil, lui serait fixé face à un œil (le
droit de préférence), en accès direct et immédiat, et me permettrait,
notamment et présentement, de capter instantanément l'expression des
visages des gens que je croise sur mon chemin.
[J'ai toujours pensé que je suis née trop en retard ou, en l'occurrence, trop en avance :) ]
D'où m'arrive une telle idée ? Simplement de mon pied droit.
Ouhla
! se disent les habitués, et les visiteurs de passage, l'IzM (et autre
pseudo...) aurait-elle pêté une durite durant tout ce temps de silence ?
J'vous laisse deviner :mrgreen:
Sinon, ce jour ça fait sept semaines que je marche avec des béquilles
(et c'est pas fini, sans elles, j'me prends pour un escargot et c'est
pas mon trip) suite à une méchante entorse du pied droit (avec rupture
des ligaments, s'il vous plait, j'entends encore leur craquement et ça
me fait frissonner).
Pour la petite histoire, au début j'ai eu
un plâtre (synthétique le plâtre), posé pour quarante-cinq jours (!!!),
mais le Ciel a dû entendre mon désespoir (sérieux, loin de moi l'idée de
me plaindre, mais avez-vous déjà eu un plâtre -je passe les autres
détails- en vivant seul(e) ? Pour moi, c'était l'enfer...), car au bout
de trois jours mon pied s'est engourdi et deux jours plus tard, on m'a
retiré le plâtre et fourni une attelle. Bienvenue, l'attelle, j'ai pu
remarcher ! Lentement, c'est sûr, mais c'est mieux que le plâtre.
Pour
finir avec cette histoire d'attelle, je l'ai virée il y a quinze jours,
elle m'énervait et me faisait mal la nuit. Je n'ai gardé que la bande
interne (mais elle commence à m'énerver elle aussi, sauf que pour le
moment je ne peux pas m'en passer quand je dois sortir, ma cheville et
ses ligaments ne sont pas encore remis, et j'ai toujours un léger
hématome au bout du pied).
Et bien sûr, quand je dois marcher hors de chez moi, je prends les béquilles.
Et
là, c'est marrant, ou réconfortant, ou triste, ou énervant, suivant
l'état d'esprit dans lequel je me trouve. Je suis pour l'heure à l'état
de personne handicapée. Et je peux voir et sentir la réaction des gens
face à une personne qui ne peut se déplacer sans ses béquilles (cannes
anglaises pour être précise).
Je peux vous dire que la majorité n'est pas bienveillante, alors que ça me semble être la moindre des choses.
Si,
sur mes deux pieds sans béquille, je me trouve sur un trottoir étroit
(par chez moi, c'est une spécialité, comme le beurre blanc, le muscadet
et les civelles) face à une personne avec des béquilles (c'est pareil
avec une poussette ou un fauteuil roulant), je vais lui faire de la
place, quitte à descendre sur le bitume, pour qu'elle puisse passer, et
non passer en m'en foutant qu'elle doive s'arrêter ou poser une béquille
dans le caniveau ou raser les murs au risque de faire trébucher sa
béquille (eh oui, une béquille ça trébuche, contre la base d'un mur, un
trottoir pourri -autre spécialité du coin- ou sur la terre ou les
cailloux d'un chemin pas très droit- p***** de béquilles).
Même
chose à l'hypermarché. Avec mes deux béquilles, je ne peux pas porter de
panier (je ne prends jamais de chariot, faut que je puisse soupeser le
poids de mes courses, après je les porte sur un kilomètre dans mon
sac-à-dos), alors je prends un panier à roulette, je mets une béquille
dedans (et je lui dis : "Pas bouger", car elle a tendance à être
indépendante, mais ça n'empêche pas qu'elle bouge voire tombe,
pffff....), et je fais mes courses comme un escargot avec une canne à la
main droite. Vous me direz, valide, ça arrive aussi qu'on se fasse
griller la priorité dans les rayons et la grande allée. Mais valide, on
peut facilement esquiver, se faufiler, accélérer (ou ralentir, c'est une
option). Essayez avec des béquilles... Surtout quand on se trimbale un
panier à roulette qui adore se prendre dans les chariots des autres.
Vingt dieux ! (s'cusez moi). Sont cons les gens. La plupart.
Ah
j'y pense ! Les chauffeurs de bus aussi sont (parfois) cons. Depuis
quelques années, à Nantes et dans l'agglomération, on monte par l'avant
et on descend par l'arrière (plutôt le milieu, mais bon). Bête avec mes
béquilles, que fais-je ? Je monte et m'avance pour être proche de la
porte qui s'ouvre pour la descente. A quelques pas du siège convoité (le
bus n'est jamais bondé quand je le prends, j'suis pas cinglée -enfin
j'essaie), le chauffeur démarre. Je prévois le coup, au cas où, j'ai
déjà vu faire avec des anciens pas bien vaillants sur leurs quilles, ou
des mamans avec leurs poussettes, j'appuie donc fortement sur le sol
avec ces p****** de admirables et réconfortantes cannes
anglaise -c'est vrai ! Si elles n'existaient pas je serais bien
malheureuse, condamnée à me prendre pour un escargot- mais je subis la
secousse, évidemment. Ouch ! Allez, on va dire qu'il a des horaires à
respecter.
J'ai pris le bus trois fois en sept semaines, mais c'est vraiment parce que j'étais trop loin de mon point d'arrivée.
Ainsi, je constate que le bon sens et la bienveillance ne vont pas de soi. Si certaines personnes s'arrêtent ou se font toute mince pour raser un mur, un rayon de supermarché, ou descendent dans le caniveau, avec un sourire, la plupart me regardent avec un brin de crainte, de colère, de mépris ou au mieux d'interrogation, comme si j'étais un danger pour leur intégrité. Et je ne parle pas de celles et ceux qui m'ignorent, comme si j'étais invisible et qui m'obligent à les laisser passer si je ne veux pas me faire bousculer.
C'est pour ces raisons et ces expressions que j'aimerais avoir cet appareil photo qui n'existe pas. Pour capter ces images de la bassesse et/ ou la faiblesse humaine, pour que ceux-là puissent voir leur visage et s'interroger sur leur motivations, conscientes ou non. Et s'apercevoir que leur négation, leur peur, leur colère, leur mépris ne les gardera pas de se retrouver, potentiellement, un jour, avec des béquilles ou dans un fauteuil roulant.
En fait, je m'en fiche un peu qu'on me fasse ça, moi, je ne suis pas grand'chose et, en principe, je devrais pouvoir remarcher sans béquilles disons dans un mois. Mais je pense à tous ceux qui doivent, à vie, se déplacer avec des cannes ou en fauteuil roulant (je me limite à ces deux catégories mais je pourrais élargir à bien d'autres). Ils reçoivent les mêmes regards que moi, je n'en doute pas. Un sourire, une politesse, une attention, et on peut se dire que tout n'est pas perdu pour l'espèce humaine. Dans le cas contraire, il vaut mieux ne pas être dépressif... et rêver à un appareil photo fixé au crâne captant instantanément tous ces visages sombres pour ensuite les interroger : "Et vous Madame, Mademoiselle, Monsieur, que pensez-vous de votre expression à ce moment précis ?"